jeudi 6 septembre 2012

Une exposition à voir, un animal à protéger

Be:e parle de l'abeille. Api be:e api, soyez heureux et sauvez les abeilles, c'est lié. L'exposition commence samedi soir et devrait durer presque un an. C'est à Noyers-sur-Serein, beau village médiéval, dans la galerie de la Porte Peinte. Nous sommes heureux et honorés d'en être.

 Des écrits, des écrits, des écrits... Et des lectures aussi, sous forme de surprise samedi lors du vernissage.

 Une des peintures de véronique,
variations autour de ruches naturelles.

L'incroyable "reine des abeilles"
devant le rucher de toiles,
deux éléments du projet de Véronique qui seront exposés durant Be:e.
Un de mes textes fera partie de l'ensemble,
les autres sous forme de livres seront visibles à part.

 Vue de la belle "ventileuse",
créature consolante hors catégorie,
premier insecte de la collection.

Nous voulions absolument en être, il faut le reconnaître. J'ai essayé de résumer ma démarche et ma méthode ci-dessous en moins de 500 mots ;-)
"Mon très fort désir de proposer des textes pour l'exposition Be:e fut le fruit de deux grandes passions, héritées de l'enfance :
En premier lieu la faune et la flore comme un tout homogène et indissociable. Mes nombreuses fins de semaine passées dans la ferme familiale vosgienne m'ont appris que les animaux et les végétaux ne s'opposent ni se juxtaposent, mais se fondent dans le même ensemble, le milieu, le biote à mes yeux révélés, mes yeux d'enfant émerveillé et reconnaissant.
Ma deuxième passion est toute entière dans le projet : le lexique, le vocabulaire, la façon dont le sens de chaque mot interagit avec chaque sens de chaque autre mot... l'idée que les mots fusionnent eux aussi pour former leur propre écosystème, dans lequel la polysémie tient lieu de dimorphisme.

Avec les années, l'abeille est progressivement devenue mon ”animal préféré”, comme je le disais à l'époque où il existait des animaux que je n'aimais pas. Grâce en particulier à mes parents, apiculteurs amateurs, j'ai appris à reconnaître l'incroyable dépendance qui est à la nôtre envers cet insecte hyménoptère tout entier acquis à notre cause commune : la préservation du vivant par la reproduction naturelle. Les menaces qui pèsent sur elle, les pesticides non sélectifs et les perspectives d'une effrayante agriculture sans pollinisation sont en train de modifier le regard que nous portons sur l'abeille. Je sais désormais qu'il faut urgemment la défendre et à travers elle nous défendre nous-même contre la dureté supposée du monde à venir.

Mon intention initiale fut d'élaborer des textes utilisant tous les termes du champ lexical de l'abeille mais sans jamais parler explicitement du monde apicole. Autrement dit, proposer des écrits purement métaphoriques dont certains susciteraient des interprétations évidentes mais tacites, et d'autres aucune interprétation sinon celle induite par un imaginaire débridé en pleine activité. Pour construire le champ lexical de l'abeille, j'ai fait une recherche dans mon énorme collection de dictionnaires informatisés et en ai extrait tous les termes dont au moins une des définitions contenait le mot « abeille ». J'en trouvai 121, lesquels figurent en totalité dans chacun des textes que je propose.
Partant sans idée préconçue au sujet des thèmes de mes histoires à venir, je décidai de déterminer l'ordre des mots par tirage au sort, un tirage pour un texte, en découpant 121 petits papiers, chacun portant un vocable, et en les mélangeant dans un chapeau. L'idée d'écrire avec un ordre contraint fait moins que m'embarrasser : cela m'aide. En général, mon imagination s'emballe à la simple vue de la liste de vocables aléatoirement constituée. Les premiers mots donnent souvent le ton et le thème, et le reste suit de façon plus ou moins fluide et rapide, mais toujours en accord avec les choix précédents. Dans cette optique, la forme et le sens du texte que vous avez sous les yeux sont autant le fruit du hasard que des décisions prises par l'auteur dès le démarrage de l'écriture."

Et un extrait, quand même :
 
« Cette nosémose devient insupportable, lui dit-il en regardant derrière lui.
- Fermez votre opercule et faites-moi confiance. Je suis une apis de niveau cinq. Quand mes ailes sont en feu, les faux bourdons brûlent pas le simple souffle de mon passage. »
A ces mots pleins d'espoir, la loque qui le gênait cesse de le démanger.
« Vous êtes une vraie fleur, pas une de ces larves qui...
- Je vous arrête tout de suite, l'avette. Tant que les varroas vous colleront au train et que les taons vous bourdonneront après, n'essayez pas de flirter. Essayez de vous souvenir que je suis une apivore avant qu'on arrive au rucher. »
Il passe sa brosse d'antennes dans les cheveux en essayant d'oublier l'essaim qui est à ses trousses autant que la butineuse qui le conduit, une pince tibio-tarsienne sur le volant et l'autre par la fenêtre. S'il avait su que cette affaire serait aussi peu du gâteau, il n'aurait jamais quitté sa vie d'hyménoptère pur citadin, vivant dans une colonie urbaine au milieu d'avenantes syrphes tartinées de cold-cream, de ventileuses du dimanche ou de cirières distribuant leurs légumes dans des corbeilles à pollen chaque jour de marché. La mouchette qui l'accompagne a une allure de mangeur-d'abeilles, apiphage aux dents aiguisées, sans doute issue d'un couvain de piqueuses élevées à la gelée royale. Elle aura développé un apisin mortel qu'aucun autre élevage ne pourrait égaler...
Il cesse de penser, voyant qu'un frelon asiatique tente de dépasser la préreine en lâchant sur eux une salve d'enfumoir depuis sa jaguar.
« Je fais de l'ozocérite ! râle-t-il en toussant pitoyablement dans le bourdonnement des apidés patibulaires qui se rapprochent.
- Taisez-vous et laissez la mouche faire son miel ! » lui lance-t-elle sévèrement.
Tout en conduisant, la nymphe guerrière brandit un pistolet à pollen en direction de leurs poursuivants. Son air mellifère provoque un étouffage de son passager qui suffoque, en proie à une violente et subite acariose.
« Comme sentinelle, vous ne valez guère mieux qu'un éristale qui voudrait se faire passer pour un xylocope ! » lui lance-t-elle méchamment tandis que le véhicule ennemi se rapproche de la planche de vol.
Elle gare ses antennes au moment où une philanthe lance son gorgeret vers la nourrice.
« Cette caste de guêpiers est des plus coriaces, mais ils vont apprendre ce qu'est une vraie charpentière... Vous savez vous servir d'un nida ?
- C'est que... à part en apiculture et en abeillage, j'étais assez mauvais en sports de jet à l'école... »

Une exposition à voir absolument. Vous avez dix mois...