En revanche, en bon linguiste qui se respecte, je suis sensible au sens des phrases, aux contextes dans lesquels elles ont été émises, à l'intention des locuteurs qui ont dit ces choses que nous trouvons si importantes, et enfin à leur traduction, s'agissant de citations originales en non-français.
Une des plus célèbres, et que j'entends souvent ces derniers temps, est de Rainer Maria Rilke, le célèbre poète allemand qui aurait dit ceci (une fois traduit) :
"Ceci surtout : demandez-vous à l'heure la plus silencieuse de votre nuit : Suis-je vraiment contraint d'écrire ?"
Souvent, la citation s'arrête là. On sent encore dans l'air le vol délicat et sibyllin des points de suspension. On applaudit, on murmure. Celui-là qui répondra "non" n'est pas un vrai écrivain ni un vrai poète. C'est un imposteur, monsieur le journaliste...
Pourtant, derrière la crayeuse face du poète insomniaque, on ignore plusieurs éléments essentiels :
- En premier lieu, cette phrase est le fragment d'un texte bien plus important et homogène qu'elle le laisserait penser. La réponse à la question sous-tend l'entrée dans une espèce d'initiation, qui mène l'aspirant-poète à faire fusionner son âme avec celle de la nature qui l'environne. De ce fait, la suite de la lettre de Rilke est bien plus cruciale que cette phrase-là, plus connue parce que plus directement accessible à la compréhension. D'ailleurs, elle s'adresse à nous tous qui écrivons plus ou moins : "est-ce que tu te réveilles la nuit parce que tu es vraiment contraint d'écrire ? Non ? Alors, renonce..."
- Le deuxième élément concerne la traduction. Je ne suis pas assez germanophone pour jongler avec la citation originale, mais je suis surpris par le foisonnement des traductions proposées par ceux qui la relaient en français. Je veux essentiellement parler de la dernière phrase :
Suis-je vraiment contraint d'écrire ?
me faut-il écrire ?
Dois-
...si vraiment il vous faut écrire.
Dans mon monde à moi, ces différentes propositions n'ont pas le même sens.
Les hommes politiques modernes le disent souvent, et au fond je les approuve : "cette phrase de moi que vous citez à été sortie de son contexte, et en plus je n'ai pas littéralement dit cela..."
Raison de plus pour se méfier de quelques mots dont le sens apparent nous flatte l'esprit sans nous l'éveiller totalement.